Le bourreau de Valenciennes : Différence entre versions

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Extrait du courrier du Nord des 23 et 24 avril 1891 par Monsieur Henri Caffiaux,  
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Extrait du [[courrier du Nord]] des 23 et 24 avril 1891 par Monsieur [[Henri Caffiaux]], historien.
l'histoire du bourreau de Valenciennes aux XIVe et XVe siècles nous conte les mœurs d'autrefois dans leur cruauté et le raffinement des supplices;
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L'histoire du bourreau de Valenciennes aux XIV{{Exp|e}} et XV{{Exp|e}} siècles nous conte les mœurs d'autrefois dans leur cruauté et le raffinement des supplices;
 
la vie de l'être humain pesait peu au regard de la loi. Bien loin de ce que nous croyons parfois à tort,
 
la vie de l'être humain pesait peu au regard de la loi. Bien loin de ce que nous croyons parfois à tort,
 
le châtiment des condamnés n'était pas réservé qu'aux peuples barbares, il s'agit bien ici de l'histoire de Valenciennes.'''
 
le châtiment des condamnés n'était pas réservé qu'aux peuples barbares, il s'agit bien ici de l'histoire de Valenciennes.'''
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Aussi le bourreau ne chômait guère : on en vit parfois  un deuxième venir donner un coup de main au premier, sans compter les aides attitrés et non attitrés  
 
Aussi le bourreau ne chômait guère : on en vit parfois  un deuxième venir donner un coup de main au premier, sans compter les aides attitrés et non attitrés  
 
Était-il absent pour affaire quelconque et un cas se présentait-il qui réclame sa présence ? Vite, on dépêchait, - fût-ce même la nuit – un sergent chargé d’aller, au galop de son cheval, lui signifier de revenir. Le magistrat lui-même, tenu en certains cas d’assister aux exécutions pour constater la mort et faire preuve d’implacable vigilance, s’imposer de ne laisser distraire de ce devoir par aucun motif quel qu’il fût.
 
Était-il absent pour affaire quelconque et un cas se présentait-il qui réclame sa présence ? Vite, on dépêchait, - fût-ce même la nuit – un sergent chargé d’aller, au galop de son cheval, lui signifier de revenir. Le magistrat lui-même, tenu en certains cas d’assister aux exécutions pour constater la mort et faire preuve d’implacable vigilance, s’imposer de ne laisser distraire de ce devoir par aucun motif quel qu’il fût.
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En 1539, le prévôt et deux jurés sont mandés au Quesnoy par le conseil du comte de Hainaut pour affaire importante. Ils se font excuser en alléguant qu’ils tiennent à assister au supplice d’une femme condamnée à mort pour larcin.
 
En 1539, le prévôt et deux jurés sont mandés au Quesnoy par le conseil du comte de Hainaut pour affaire importante. Ils se font excuser en alléguant qu’ils tiennent à assister au supplice d’une femme condamnée à mort pour larcin.
On prenait d’ailleurs toutes les précautions pour prévenir les délits. Si la bourgeoisie devait sortir en armes, soit pour un abattis de maisons, soit pour une expédition quelconque, les homicides, les réfugiés, tous ceux qui avaient pris la franchise de la ville, étaient tenus de se réunir en troupe à la suite du roi des ribauds, puis on les emmenait pour leur ôter la tentation de piller en restant en ville et le bourreau était du cortège.
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On prenait d’ailleurs toutes les précautions pour prévenir les délits. Si la bourgeoisie devait sortir en armes, soit pour un ''abattis de maisons'', soit pour une expédition quelconque, les homicides, les réfugiés, tous ceux qui avaient pris la franchise de la ville, étaient tenus de se réunir en troupe à la suite du roi des ribauds, puis on les emmenait pour leur ôter la tentation de piller en restant en ville et le bourreau était du cortège.
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Le magistrat semble avoir eu pour principe d’opérer, dans une population aussi mêlée, toutes les éliminations possibles, et pour élaguer les éléments dangereux, il employait, le bannissement puis la mort.
 
Le magistrat semble avoir eu pour principe d’opérer, dans une population aussi mêlée, toutes les éliminations possibles, et pour élaguer les éléments dangereux, il employait, le bannissement puis la mort.
  
(1)  Putier parait provenir de putens, puits employé par Plante dans le sens de cachot souterrain pour les esclaves. On les y tenait enchaînés
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(1)  Putier parait provenir de ''putens'', puits employé dans le sens de cachot souterrain pour les esclaves. On les y tenait enchaînés
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= Le bannissement =
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Le bannissement était temporaire ou définitif .Le premier de trois ans, et pour ôter aux ''Bannis'' de cette catégorie l’envie de revenir, on les faisait parfois convoyer aux limites de la banlieue, par des sergents qui les battaient de verges.
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Le bannissement à vie épargnait la peine de mort aux inculpés qui avaient réussi à ne rien avouer dans les tortures. C’était pour eux ce qu’est, en nos cours d’assises, le bénéfice des circonstances atténuantes pour ceux qui pouvaient encourir la peine capitale.
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Si un banni de trois ans tentait de reparaître on le bannissait à perpétuité. Si un banni à perpétuité ne craignait pas de revenir, il était remis à la question, probablement pour lui faire avouer ce qu’il avait su nier précédemment et il n’en sortait guère que pour être pendu.
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Pourtant ils se risquaient encore… C’est que le séjour de Valenciennes leur tenait fort à cœur, et quand le souverain devait visiter sa bonne ville, les bannis accouraient de partout à l’entrée de la banlieue, criant grâce!et suppliant qu’on leur rendit la ville, ce qui arrivait parfois.
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= Les tortures =
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Les tortures les plus fréquemment employées étaient le poulain, traverse de bois munie d’une arête vive sur laquelle le patient était mis à cheval avec des poids aux pieds, pour faire pénétrer l’arête dans les chairs.
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On employait aussi des cordelles qui, tordues serraient douloureusement le front.On usait également de cordes plus ou moins grosses et il en fallait même beaucoup, mais leur emploi ne se laisse guère deviner dans nos comptes, peut-être servaient-elles à l’estrapade, qui fut surtout en usage aux siècles suivants.
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Il y avait encore le cep, double poutrelle échancrée pour faire place aux pieds, quelles maintenait devant un brasier, il en résultait parfois de profondes brûlures que la ville faisait guérir à ses frais.
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= La peine de mort =
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La peine de mort était de plusieurs espèces : on justiciait'' d'ardoir'' par le bûcher, de bouillir, par la cuve d’eau bouillante, de pendre et d’enfouir vivant. On se servait peu de l’épée à cette époque, c’était une mort comparativement trop douce et qui d’ailleurs n’était pas infamante.
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; Le bûcher : s’élevait hors de la [[porte Tournisienne]], dans la prairie de l'Espaix dite le parc. On dressait une estake ou poteau, qu’on entourait de fagots et on y attachait le condamné.
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; Le supplice de l’eau bouillante : se faisait au même endroit, il était particulièrement réservé aux faux monnayeurs. On y plantait des fourches auxquelles on suspendait, par des chaînes de fer une chaudière assise en outre sur un fourneau bâti tout exprès. Seulement on ne sait si l’expression l’indique (justicié de bouillir), on déposait le patient dans l’eau froide qu’on faisait bouillir jusqu’à ce que mort s’ensuivit, ou s’il était jeté dans la chaudière quand elle était en ébullition. Une cuillère en fer y jouait un rôle ignoré à ce jour. L’instrument du supplice se remisait à la poterne, près de l’arc de la salle. C’est là qu’on allait le prendre, là qu’on le ramenait.
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; La pendaison: à cette époque avait lieu au Rôleur. On y avait construit un gibet, ou plusieurs corps se trouvaient facilement à se balancer dans l’espace.
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; L’enfouissement : se pratiquait ordinairement la nuit au Prayel ou préau, derrière la prison Burianne, qui se trouvait jusqu’en 1940 derrière l’hôtel de ville. Le malheureux après avoir subi la question, même deux fois dans la même nuit, était lestement confessé par un religieux dont le salaire variait de trois à six sous puis livré au bourreau. On enfouissait aussi au Rôleur.
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Ces exécutions étaient communes aux deux sexes, mais quand il arrivait qu’une femme pour prolonger ses jours, se déclarât enceinte, on la faisait examiner par des matrones. Si elles niaient la grossesse, on procédait à l’exécution ; si elles admettaient l’empêchement allégué, ou déclaraient ne pouvoir se prononcer ni dans un sens ni dans l’autre, on attendait l’expiration des neuf mois.
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= Le bourreau =
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Le bourreau était donc un homme fort employé et comme tous ceux qu’on n’estime pas, mais dont on ne peut se passer ; il jouissait d’une sorte de considération de ses pareils extérieure. Quand il recevait la visite de ses pareils du dehors, le magistrat lui faisait donner dix sous pour bien les régaler. Il avait en outre le titre de maître qu’on ne donne plus de nos jours qu’aux notaires, avoués, avocats.
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Avec le temps le mot putier fit place à des qualifications plus relevées : on l’appela officier de justice, exécuteur de la haute justice, officier criminel.
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Ses émoluments suivirent aussi une progression ascendante .Ils n’étaient d’abord que de douze à treize livres de traitement fixe mais il avait un casuel qui arrondissait singulièrement son salaire. Ainsi, pour un supplice d’ardoir ou de bouillir il touchait dix sous huit deniers. Pour enfouir un homme vivant, cinq sous pour creuser la fosse, cinq sous, et, en temps de gelée le double.
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Une exécution sur le marché – par l’épée sans doute - et pour l’appel à la révolte, suivie d’enfouissement au dehors…vingt sous. Une pendaison ordinaire… cinq sous quatre deniers. Si le pendu était un meurtrier on lui attachait un couteau sur la poitrine, deux à trois sous au putier pour la fourniture.
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Un incendiaire traîné au Rôleur était pendu avec un pot (indices de matières inflammables qu’ils auraient contenues), attaché au hatriel (nuque–cou)…quinze sous huit deniers. Pour une natte mise au fond d’une fosse, neuf deniers. Pour enfouir un supplicié tombé du gibet, cinq sous. Encore cinq sous pour enterrer le corps d’un homme trouvé assassiné et même somme pour remettre dans la fosse un cadavre que les bêtes avaient tiré dehors .Le putier pendait aussi et enfouissait les corps des suicidés, après les avoir traînés au Rôleur, sur une claie ou une échelle, dix neuf sous six deniers. On  traînait de même les grands coupables et le vaincu des duels judiciaires. Le magistrat assistait aux exécutions de suppliciés, il se rendait même au logis du trépassé pour constater le fait, la nuit, avec ses valets porteurs de torches et des sergents pour veiller près du corps.
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Si le suicidé appartenait au clergé, on le conduisait à l’extrémité de la banlieue pour le livrer à qui de droit.
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Parfois un misérable qu’on menait au bûcher, à la chaudière ou au Rôleur, se sentant défaillir à la pensée des épouvantables souffrances qui l’attendaient, vouait, pour Dieu au profit des malades, un chaperon (probablement le prix qu’il devait coûter) le bourreau avançait la somme et le magistrat la lui faisait rendre ; c’était de deux sous six deniers à neuf sous.
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Si le pauvre diable était à peine vêtu, le bourreau, pour cacher sa nudité, lui abandonnait une de ses cottes, qui lui était payée jusqu’à douze sous.
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Une simple torture lui valait deux sous six deniers, une oreille coupée cinq sous huit deniers. Il achetait alors un couteau neuf et parfois des gants, ce qui rapportait de quinze deniers à trois sous. Il devait avoir des couteaux à revendre et je suppose que le magistrat les lui payait plus d’une fois.Le soupçon d’un crime lui rapportait à l’occasion quelque chose, on battait de verges pour soupçon de bourse coupée, on bannissait, on pendait aussi pour le même motif, c’était quand le crime était évident et qu’il ne manquait que l’aveu pour mettre tout le monde d’accord.
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On le voit par ces citations, les revenants bons ne manquaient pas au putier et quand sa charge était vacante, on n’avait que l’embarras de choisir .En général la fibre, au moyen âge, n’était guère sensible,
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La vue des tortures n’effrayait pas trop, on était en avance sur l’époque où Dandin disait :        ''' Bon ! cel a fait toujours passer une heure ou deux.'''
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= Épilogue =
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Aujourd’hui nous ne supporterions pas l’horrible spectacle d’un duel judiciaire, raconté par d'Oultreman, nous n’en supporterons pas même la lecture… nos ancêtres, non seulement n’en furent pas émus, mais ils se plaignirent hautement quand cette abominable coutume fut abolie par Philippe le Bon (1419-1467) lequel avait été témoin d’un duel judiciaire et avait vainement tenté de sauver la vie au pauvre Mahuot… Mais c’était un de nos antiques privilèges et nul - pas même le souverain, - n’était admis à le modifier!
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Ne nous étonnons pas qu’à ces époques à demi barbares, les fonctions de bourreau aient été dans les classes inférieures, un réel objet d’envie, témoin le fait ci-après que raconte Dinaux.
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Aux XVIe et XVIIe siècles avec le procès pour cause d’hérésie, et de sorcellerie, les tortures et les exécutions devinrent plus nombreuses et plus cruelles. Nous ne nous y arrêterons pas : ces atrocités n’avaient plus l’excuse d’appartenir à une époque de mœurs aussi sanguinaires et de répondre au souci de se protéger contre les contre les brigandages, les attentats.
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Les idées philosophiques et humanitaires du XVIIIe siècle n’attendirent pas la suppression officielle de ces horreurs pour faire naître une réaction dans le sens plus digne de la civilisation moderne.
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Le bourreau de Valenciennes qui en 1686 jouissait d’un fixe de mille livres ; n’en avait plus au siècle suivant que six cent. En 1738 quand mourut Michel Sohier, l’exécuteur des hautes œuvres, on lui donna pour successeur, sa veuve qui était encore en fonction en 1748 et qui y resta jusqu’en 1764, époque où Julien Vermeille fut pourvu de l’office d’exécuteur public aux gages de six cent livres.
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Il va de soi que la besogne de la veuve Sohier ne pouvait être bien rude : n’était que la coutume, on eût pu se passer de ses services. Elle était sans doute une exécutrice des basses œuvres, c'est-à-dire chargée de la marmaille… La ville avait en effet une provision de ramons à faire des verges pour corriger les enfants.
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Quoiqu’il en soit, Julien Vermeille fut le dernier des bourreaux de Valenciennes. Il laissa une fille vers 1830, qui vivant difficilement de leçons de catéchisme qu’elle donnait aux enfants qu’on préparait pour la première communion. C’était une petite vieille très pieuse qui entretenait le linge de la sacristie de Saint-Nicolas. Elle est morte à l’hôtellerie où elle avait fini par trouver un asile.
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== Bibliographie & références ==
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*Extrait du courrier du Nord 23/24 avril 1891; cote U8/32 bibliothèque de Valenciennes
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[[Category:Personnage]]  [[Category:Histoire]] [[Category:Défis]]

Version actuelle en date du 24 janvier 2017 à 23:24

Avant propos

Extrait du courrier du Nord des 23 et 24 avril 1891 par Monsieur Henri Caffiaux, historien.

L'histoire du bourreau de Valenciennes aux XIVe et XVe siècles nous conte les mœurs d'autrefois dans leur cruauté et le raffinement des supplices; la vie de l'être humain pesait peu au regard de la loi. Bien loin de ce que nous croyons parfois à tort, le châtiment des condamnés n'était pas réservé qu'aux peuples barbares, il s'agit bien ici de l'histoire de Valenciennes.

Le contexte

Le bourreau à cette époque n’avait d’autre nom que celui de putier(1) et son office n’était pas une sinécure. Les privilèges de la ville, l’asile qu’elle ouvrait à tous ceux qui avaient à fuir l’oppression, la vengeance de leurs ennemis, ou le châtiment de leur crimes, y faisaient affluer des gens de toute sorte de pays ; le commerce qui y florissait, attirait aussi une grande population flottante qui n’était pas toujours des plus saines : les assassinats, les meurtres, les vols, les rapines, les incendies et autres méfaits s’y commettaient fréquemment il fallait que le magistrat gouvernât d’une main de fer et fit toujours, sans hésiter, prompte et sévère justice. La réclusion comme peine correctionnelle, n’existait pas ; on connaissait l’amende, mais le bourreau n’avait rien à y voir et d’ailleurs pouvait-on l’appliquer à des gens qui ne possédait rien ? Il y avait une prison, mais elle n’était, pour ainsi dire, qu’une sorte de lieu d’attente d’où l’on sortait bientôt pour aller par la question, au bannissement ou à la mort.

La question était un moyen d’obtenir l’aveu nécessaire à la peine de mort. Elle était en quelque sorte le juge d’instruction de l’époque; elle abrégeait ces interrogatoires habituellement conduits qui, de contradictions en contradictions, arrachent l’aveu au coupable : on était pressé d’aboutir et elle répondait à ce besoin. De plus l’appareil et l’horreur des supplices qui la suivaient épouvantaient et comprimaient le crime et c’est ce qu’on voulait surtout obtenir.

Aussi le bourreau ne chômait guère : on en vit parfois un deuxième venir donner un coup de main au premier, sans compter les aides attitrés et non attitrés Était-il absent pour affaire quelconque et un cas se présentait-il qui réclame sa présence ? Vite, on dépêchait, - fût-ce même la nuit – un sergent chargé d’aller, au galop de son cheval, lui signifier de revenir. Le magistrat lui-même, tenu en certains cas d’assister aux exécutions pour constater la mort et faire preuve d’implacable vigilance, s’imposer de ne laisser distraire de ce devoir par aucun motif quel qu’il fût.

En 1539, le prévôt et deux jurés sont mandés au Quesnoy par le conseil du comte de Hainaut pour affaire importante. Ils se font excuser en alléguant qu’ils tiennent à assister au supplice d’une femme condamnée à mort pour larcin.

On prenait d’ailleurs toutes les précautions pour prévenir les délits. Si la bourgeoisie devait sortir en armes, soit pour un abattis de maisons, soit pour une expédition quelconque, les homicides, les réfugiés, tous ceux qui avaient pris la franchise de la ville, étaient tenus de se réunir en troupe à la suite du roi des ribauds, puis on les emmenait pour leur ôter la tentation de piller en restant en ville et le bourreau était du cortège.

Le magistrat semble avoir eu pour principe d’opérer, dans une population aussi mêlée, toutes les éliminations possibles, et pour élaguer les éléments dangereux, il employait, le bannissement puis la mort.

(1) Putier parait provenir de putens, puits employé dans le sens de cachot souterrain pour les esclaves. On les y tenait enchaînés

Le bannissement

Le bannissement était temporaire ou définitif .Le premier de trois ans, et pour ôter aux Bannis de cette catégorie l’envie de revenir, on les faisait parfois convoyer aux limites de la banlieue, par des sergents qui les battaient de verges.

Le bannissement à vie épargnait la peine de mort aux inculpés qui avaient réussi à ne rien avouer dans les tortures. C’était pour eux ce qu’est, en nos cours d’assises, le bénéfice des circonstances atténuantes pour ceux qui pouvaient encourir la peine capitale.

Si un banni de trois ans tentait de reparaître on le bannissait à perpétuité. Si un banni à perpétuité ne craignait pas de revenir, il était remis à la question, probablement pour lui faire avouer ce qu’il avait su nier précédemment et il n’en sortait guère que pour être pendu. Pourtant ils se risquaient encore… C’est que le séjour de Valenciennes leur tenait fort à cœur, et quand le souverain devait visiter sa bonne ville, les bannis accouraient de partout à l’entrée de la banlieue, criant grâce!et suppliant qu’on leur rendit la ville, ce qui arrivait parfois.

Les tortures

Les tortures les plus fréquemment employées étaient le poulain, traverse de bois munie d’une arête vive sur laquelle le patient était mis à cheval avec des poids aux pieds, pour faire pénétrer l’arête dans les chairs.

On employait aussi des cordelles qui, tordues serraient douloureusement le front.On usait également de cordes plus ou moins grosses et il en fallait même beaucoup, mais leur emploi ne se laisse guère deviner dans nos comptes, peut-être servaient-elles à l’estrapade, qui fut surtout en usage aux siècles suivants.

Il y avait encore le cep, double poutrelle échancrée pour faire place aux pieds, quelles maintenait devant un brasier, il en résultait parfois de profondes brûlures que la ville faisait guérir à ses frais.

La peine de mort

La peine de mort était de plusieurs espèces : on justiciait d'ardoir par le bûcher, de bouillir, par la cuve d’eau bouillante, de pendre et d’enfouir vivant. On se servait peu de l’épée à cette époque, c’était une mort comparativement trop douce et qui d’ailleurs n’était pas infamante.

Le bûcher 
s’élevait hors de la porte Tournisienne, dans la prairie de l'Espaix dite le parc. On dressait une estake ou poteau, qu’on entourait de fagots et on y attachait le condamné.
Le supplice de l’eau bouillante 
se faisait au même endroit, il était particulièrement réservé aux faux monnayeurs. On y plantait des fourches auxquelles on suspendait, par des chaînes de fer une chaudière assise en outre sur un fourneau bâti tout exprès. Seulement on ne sait si l’expression l’indique (justicié de bouillir), on déposait le patient dans l’eau froide qu’on faisait bouillir jusqu’à ce que mort s’ensuivit, ou s’il était jeté dans la chaudière quand elle était en ébullition. Une cuillère en fer y jouait un rôle ignoré à ce jour. L’instrument du supplice se remisait à la poterne, près de l’arc de la salle. C’est là qu’on allait le prendre, là qu’on le ramenait.
La pendaison
à cette époque avait lieu au Rôleur. On y avait construit un gibet, ou plusieurs corps se trouvaient facilement à se balancer dans l’espace.
L’enfouissement 
se pratiquait ordinairement la nuit au Prayel ou préau, derrière la prison Burianne, qui se trouvait jusqu’en 1940 derrière l’hôtel de ville. Le malheureux après avoir subi la question, même deux fois dans la même nuit, était lestement confessé par un religieux dont le salaire variait de trois à six sous puis livré au bourreau. On enfouissait aussi au Rôleur.

Ces exécutions étaient communes aux deux sexes, mais quand il arrivait qu’une femme pour prolonger ses jours, se déclarât enceinte, on la faisait examiner par des matrones. Si elles niaient la grossesse, on procédait à l’exécution ; si elles admettaient l’empêchement allégué, ou déclaraient ne pouvoir se prononcer ni dans un sens ni dans l’autre, on attendait l’expiration des neuf mois.

Le bourreau

Le bourreau était donc un homme fort employé et comme tous ceux qu’on n’estime pas, mais dont on ne peut se passer ; il jouissait d’une sorte de considération de ses pareils extérieure. Quand il recevait la visite de ses pareils du dehors, le magistrat lui faisait donner dix sous pour bien les régaler. Il avait en outre le titre de maître qu’on ne donne plus de nos jours qu’aux notaires, avoués, avocats. Avec le temps le mot putier fit place à des qualifications plus relevées : on l’appela officier de justice, exécuteur de la haute justice, officier criminel. Ses émoluments suivirent aussi une progression ascendante .Ils n’étaient d’abord que de douze à treize livres de traitement fixe mais il avait un casuel qui arrondissait singulièrement son salaire. Ainsi, pour un supplice d’ardoir ou de bouillir il touchait dix sous huit deniers. Pour enfouir un homme vivant, cinq sous pour creuser la fosse, cinq sous, et, en temps de gelée le double.

Une exécution sur le marché – par l’épée sans doute - et pour l’appel à la révolte, suivie d’enfouissement au dehors…vingt sous. Une pendaison ordinaire… cinq sous quatre deniers. Si le pendu était un meurtrier on lui attachait un couteau sur la poitrine, deux à trois sous au putier pour la fourniture. Un incendiaire traîné au Rôleur était pendu avec un pot (indices de matières inflammables qu’ils auraient contenues), attaché au hatriel (nuque–cou)…quinze sous huit deniers. Pour une natte mise au fond d’une fosse, neuf deniers. Pour enfouir un supplicié tombé du gibet, cinq sous. Encore cinq sous pour enterrer le corps d’un homme trouvé assassiné et même somme pour remettre dans la fosse un cadavre que les bêtes avaient tiré dehors .Le putier pendait aussi et enfouissait les corps des suicidés, après les avoir traînés au Rôleur, sur une claie ou une échelle, dix neuf sous six deniers. On traînait de même les grands coupables et le vaincu des duels judiciaires. Le magistrat assistait aux exécutions de suppliciés, il se rendait même au logis du trépassé pour constater le fait, la nuit, avec ses valets porteurs de torches et des sergents pour veiller près du corps.

Si le suicidé appartenait au clergé, on le conduisait à l’extrémité de la banlieue pour le livrer à qui de droit. Parfois un misérable qu’on menait au bûcher, à la chaudière ou au Rôleur, se sentant défaillir à la pensée des épouvantables souffrances qui l’attendaient, vouait, pour Dieu au profit des malades, un chaperon (probablement le prix qu’il devait coûter) le bourreau avançait la somme et le magistrat la lui faisait rendre ; c’était de deux sous six deniers à neuf sous. Si le pauvre diable était à peine vêtu, le bourreau, pour cacher sa nudité, lui abandonnait une de ses cottes, qui lui était payée jusqu’à douze sous. Une simple torture lui valait deux sous six deniers, une oreille coupée cinq sous huit deniers. Il achetait alors un couteau neuf et parfois des gants, ce qui rapportait de quinze deniers à trois sous. Il devait avoir des couteaux à revendre et je suppose que le magistrat les lui payait plus d’une fois.Le soupçon d’un crime lui rapportait à l’occasion quelque chose, on battait de verges pour soupçon de bourse coupée, on bannissait, on pendait aussi pour le même motif, c’était quand le crime était évident et qu’il ne manquait que l’aveu pour mettre tout le monde d’accord.

On le voit par ces citations, les revenants bons ne manquaient pas au putier et quand sa charge était vacante, on n’avait que l’embarras de choisir .En général la fibre, au moyen âge, n’était guère sensible,

La vue des tortures n’effrayait pas trop, on était en avance sur l’époque où Dandin disait : Bon ! cel a fait toujours passer une heure ou deux.

Épilogue

Aujourd’hui nous ne supporterions pas l’horrible spectacle d’un duel judiciaire, raconté par d'Oultreman, nous n’en supporterons pas même la lecture… nos ancêtres, non seulement n’en furent pas émus, mais ils se plaignirent hautement quand cette abominable coutume fut abolie par Philippe le Bon (1419-1467) lequel avait été témoin d’un duel judiciaire et avait vainement tenté de sauver la vie au pauvre Mahuot… Mais c’était un de nos antiques privilèges et nul - pas même le souverain, - n’était admis à le modifier! Ne nous étonnons pas qu’à ces époques à demi barbares, les fonctions de bourreau aient été dans les classes inférieures, un réel objet d’envie, témoin le fait ci-après que raconte Dinaux.

Aux XVIe et XVIIe siècles avec le procès pour cause d’hérésie, et de sorcellerie, les tortures et les exécutions devinrent plus nombreuses et plus cruelles. Nous ne nous y arrêterons pas : ces atrocités n’avaient plus l’excuse d’appartenir à une époque de mœurs aussi sanguinaires et de répondre au souci de se protéger contre les contre les brigandages, les attentats. Les idées philosophiques et humanitaires du XVIIIe siècle n’attendirent pas la suppression officielle de ces horreurs pour faire naître une réaction dans le sens plus digne de la civilisation moderne.

Le bourreau de Valenciennes qui en 1686 jouissait d’un fixe de mille livres ; n’en avait plus au siècle suivant que six cent. En 1738 quand mourut Michel Sohier, l’exécuteur des hautes œuvres, on lui donna pour successeur, sa veuve qui était encore en fonction en 1748 et qui y resta jusqu’en 1764, époque où Julien Vermeille fut pourvu de l’office d’exécuteur public aux gages de six cent livres.

Il va de soi que la besogne de la veuve Sohier ne pouvait être bien rude : n’était que la coutume, on eût pu se passer de ses services. Elle était sans doute une exécutrice des basses œuvres, c'est-à-dire chargée de la marmaille… La ville avait en effet une provision de ramons à faire des verges pour corriger les enfants. Quoiqu’il en soit, Julien Vermeille fut le dernier des bourreaux de Valenciennes. Il laissa une fille vers 1830, qui vivant difficilement de leçons de catéchisme qu’elle donnait aux enfants qu’on préparait pour la première communion. C’était une petite vieille très pieuse qui entretenait le linge de la sacristie de Saint-Nicolas. Elle est morte à l’hôtellerie où elle avait fini par trouver un asile.

Bibliographie & références

  • Extrait du courrier du Nord 23/24 avril 1891; cote U8/32 bibliothèque de Valenciennes