Identité du Valenciennois

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 Contribution du docteur Édouard Desplats (président d'honneur du CAHV) sur l'identité de Valenciennois
 En introduction à la conférence 

Publié pour le 90ème anniversaire du C.A.H.V, le tome XII de ses Mémoires "Regards croisés sur Valenciennes et le Valenciennois" amène à s’interroger sur l’identité, hors la ville, du pays valenciennois environnant. On essaiera d’y répondre avec la navigation scaldienne1

L’identité d’une chose ou d’une personne est l’ensemble de ses caractères externes ou internes qui fait qu’elle est et reste elle-même, à l’exclusion de toute autre. Elle implique une certaine durée d’existence et en ce sens, le cours d’eau par sa permanence et sa stabilité est un assez bon marqueur de l’identité territoriale (ainsi les nouveaux départements de 1790 ont été identifiés par la rivière qui les traverse).

Malheureusement, la géographie de notre vallée de l’Escaut et de son arrière pays en amont et en aval de Valenciennes, n’offre qu’un paysage de transition mêlée du calco-marneux céréalier cambrésien et de l’argilo-sablonneux herbager de l’Ostrevant, en somme peu caractéristique et si «identité» il y a pour le Valenciennois, elle est peut-être à rechercher davantage dans l’intériorité de sa population façonnée par l’histoire, ses institutions, ses activités.

Effectivement, l’étude de l’Escaut ancien fait apparaître, au tournant du VIIIéme siècle les premiers toponymes"Valentianae2", "Valencenas3" (ce qui est de Valens, ou de Valentius). Ils désignent non pas une agglomération, encore moins une ville, mais un assez grand domaine, un fiscus mérovingien hérité de Rome, assis de part et d’autre de l’Escaut, sur la rive gauche depuis le territoire de Trith actuel jusqu’aux abords de Fresnes-sur-Escaut avec les chapelles de Saint-Vaast, Beuvrages et l’église Sainte-Pharaïlde à Bruay-sur-Escaut et sur la rive droite, de la Rhonelle jusqu’au-delà de Saint-Saulve avec l’oratoire de Saint-Martin et probablement l’ancienne maison de maître gallo-romaine mais excluant le vieux bourg de Famars déjà en récession. Cet ensemble sera doté vers 780 par Charlemagne d’un portus-embarcadère sur la rive droite après le confluent de la Rhonelle, assez actif pour justifier au siècle suivant la frappe d’une monnaie au «portus vallencenensis». Ce serait donc là, avec ce domaine bi parti péri-scaldien, courant du Vème siècle au plus tard jusqu’au IXème siècle, la première identité du Valenciennois.

Elle sera ruinée par les raids normands sur l’Escaut entre 880 et 885 ; domaine, portus, églises entrent en léthargie jusqu’à ce que l’empereur Othon bâtisse à ce confluent marécageux , vers 970 un fortin-frontière entouré de son castrum qui permettra le nouvel essor de l’ancien portus et dés le début du XIème siècle, entre portus et castrum, la formation de bourgs qui sont l’amorce, cette fois, de la ville de Valenciennes. C’est elle qui va désormais, pendant tout le Moyen Age, accaparer l’identité valenciennoise grâce au dynamisme de ses bourgeois marchands et tisserands, prompt à obtenir des franchises communales, des monopoles commerciaux et à exploiter la position privilégiée de rupture de charge route-rivière de leur ville sur un important axe commercial joignant la Méditerranée à l’Europe du Nord.

À partir du XIIème siècle l’hégémonie de Valenciennes est complète sur tout l’arrière pays mais les entités territoriales qu’elle engendre, politiques, judiciaires, religieuses vont se chevaucher géographiquement et chronologiquement, leur interdisant d’incarner, l’une ou l’autre, durablement, un " contado (Wikipédia)" valenciennois.

On peut citer4 :

  • au début du XIème siècle, l’incertain et bref comté de Valenciennes, longtemps exalté dans la mémoire valenciennoise
  • en même temps l’archidiaconé de Valenciennes, division du diocèse de Cambrai jusqu’à la Révolution
  • la Paix de Valenciennes entre Scarpe, Selle et Aunelle, entité coutumière tenace dans la mentalité rurale
  • le chef lieu de Valenciennes, chef de sens judiciaire, couvrant tout le sud du comté du Hainaut, l’Ostrevant et une partie du Cambrésis à qui les échevinages devaient se référer dans les procédures délicates
  • enfin la Prévoté le Comte groupée de part et d’autre de l’Escaut , de Verchain à Condé, succédant au XIIIème siècle à la châtellenie et où se traitaient, hors Valenciennes, devant le lieutenant du souverain, toutes les affaires d’importance, civiles et criminelles, a pu constituer pour les habitants juqu’au XVIIIème siècle un cadre administratif autonome et sécurisant, ayant survécu aux troubles religieux et à l’annexion française et qu’ils n'ont pas retrouvé ensuite dans le découpage en districts puis en arrondissements.

On pourrait y ajouter, pour l’anecdote, le valenciennois de la "prochainte", la proche banlieue où l’on se gobergeait à moindres frais, hors de l’octroi ; celui de "l’arsin" où à moins de 2 heures de chevauchée, le bourgeois valenciennois outragé pouvait derrière la bannière de sa connétablie, aller incendier la maison du villageois ou du nobliau insolent.

De tels mouvements de foule se retrouvent encore, plus débonnaires près de nous, lorsqu’il y a 50 ans à peine, les gens du Valenciennois venaient accueillir triomphalement, en gare, leurs lauréats du Prix de Rome qu’ils avaient confiés, tout jeunes, aux Académies de la ville, et de nos jours encore pour encourager au stade, leurs champions en quête de trophées nationaux ou enfin en gros bataillons banlieusards, marcher et chanter derrière la Vierge du Saint-Cordon. D’autres souligneront aussi les grandes marches ouvrières et syndicales qui ont scandé, dans le Valenciennois, les nombreuses secousses économiques du XXéme siècle.

S’est levée ainsi, au fil des siècles, à l’ombre des clochers jaloux, une pâte communautaire où a émergé, dés la fin du XIXéme siècle, avec l’extension des lignes de transport interurbains, trains omnibus, tramways, autobus, une identité plus utilariste où est réputé du Valenciennois celui qui dans son travail, pour ses affaires, ses achats, voire son divertissement dominical fait habituellement appel aux institutions et installations de Valenciennes seule et non de Saint-Amand-les-Eaux, Condé-sur-l'Escaut, Denain, Le Quesnoy qui ont-elles aussi leur clientèle de proximité, créant même des frontières mentales qui durent encore entre villages voisins. On rejoint là la symbiose spatio-fonctionnelle mise en avant par le professeur Quignet 5.

Mais l’identité du Valenciennois, s’est incontestablement manifestée du milieu du XIXème siècle à celui du XXème, avec l’extraction de la houille à grande échelle, dans le sillage de la Cie d’Anzin et les multiples puits de mine de la rive gauche entre Roeulx et Vieux-Condé ; avec l’installation concomitante d’usines sidérurgiques à Lourches, Denain, Thian, Trith-Saint-Léger, Anzin, Bruay formant un binome industriel majeur, illustré par le monument d’Alphonse Terroir Cliquez! reproduit en couverture de ce tome XII des Mémoires et par la vision rougeoyante qu’en ont eue nos peintres Lucien Jonas Cliquez! et Maurice Ruffin – progressivement complété au XXème siècle, grâce à l’action des Chambres de commerce, par des entreprises de matériaux de construction ou agro-alimentaires, des ateliers de mécanique automobile, une raffinerie de pétrole avec leurs quais et ports fluviaux et même un aérodrome d’affaires.

Cette trame économique épaisse et continue le long du fleuve jointe à la réputation d’activité d’une population prompte à réparer les méfaits des guerres et forte d’une tradition culturelle majeure appuyée sur des institutions aussi prestigieuses que la Bibliothèque municipale de Valenciennes Cliquez!, le Musée des beaux-arts de Valenciennes et plus récemment la scène nationale du Phénix Cliquez!, a pu faire caresser le rêve, dans les années 1950-1960, à d'un nouveau département de l’Escaut, d’un grand Valenciennois officiel.

Trente ans plus tard, ce rêve s’est évanoui avec la brutale déshérence minière et sidérurgique. Quelques pieux solides cependant résistent le long de l’Escaut, consolidés par les fonds européens où ont pu se ré-amarrer la nouvelle université du Mont Houy, d’autres usines automobiles, une agence ferroviaire européenne, un tramway inter urbain ultra moderne, plusieurs plate-formes multi-modales de trafic international sur le fleuve réaménagé, des autoroutes, un Pôle numérique tandis que s’affirme sur les rives le renouveau artistique et associatif.

Ph. Guignet qui analyse au plus près les tendances économiques6, prenant acte et rejetant l’identification du Valenciennois aux limites d’un arrondissement tentaculaire, le définit de façon réaliste comme "une agglomération polarisée de continuité spatio-fonctionnelle" englobant une dizaine de communes dans un quadrilatère péri-fluvial Raismes-Saint Saulve-Aulnoy-Trith-Saint-Léger, de spécificité tertiaire moderne. Définition judicieuse, mais forcément limitative avec les récriminations au pourtour...

La toute nouvelle et dynamique "Communauté Valenciennes-Métropole" spontanément agglomérée en 2001, a une configuration géographique, de Condé à Verchain, étonnamment proche de l’ancienne Prévôté le Comte née 800 ans plus tôt pour couvrir près de six siècles. On peut y trouver raisonnablement l’évidente identité du Valenciennois et lui souhaiter de persister longtemps dans la mondialisation annoncée.


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Contribution Cercle Archéologique et Historique Valenciennes